Exfiltré(e)s/Version Française - Automne 2024 - Urgence Environnementale : Un Jeu d’enfants ?
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Connaissez-vous la Gretaphobie? Ce concept a été théorisé en France par Philippe Watrelot, professeur en sciences économiques et sociales, pour qualifier les violentes attaques visant la jeune militante. Entre 2018 et 2023, les « Fridays for Future » lancés par Greta Thunberg ont mobilisé des milliers de jeunes à travers le monde. En France, le mouvement « Youth for Climate » a appelé à de nombreuses grèves, accompagnées par des actions dites de « désobéissance civile ».
Alors que la multiplication des actes militants menés par des jeunes agace certains- qui jugent ces actions radicales, voire contre-productives- d’autres estiment au contraire que c’est bien la jeunesse qui sera une composante essentielle de la solution.
A l’approche de la journée mondiale de l’Enfance le 20 novembre prochain, nous consacrons notre édition de l’automne à ces questions : quel héritage environnemental nous apprêtons-nous à léguer à nos enfants ? Quels défis attendent les générations « Z » et « alpha » ? Peut-on vraiment parler d’une «Génération Climat» à l’instar des titres de presse et si oui, quelle est/sera sa marge de manœuvre ?
Au sommaire de cette édition
Rubrique Grand Angle - Horizon 2050 : dans quel monde grandiront-ils ?
Rubrique du Savoir aux Actes - Comment sensibiliser et accompagner les enfants?
Rubrique Coup de Coeur - Trump in the House - fin de l’ESG?
Horizon 2050 : dans quel monde grandiront-ils ?
A la simple question -d’apparence anodine- “Comment allez-vous” ? Yamina Saheb, co-autrice du rapport du groupe 3 du Giec et chercheuse spécialisée dans l’efficacité énergétique des bâtiments répondait en ces termes lors d’une récente conférence à l’Académie du Climat : “Mal. Car pour nos enfants- les miens, les vôtres, ceux nés dans les années 2020, les chances d’avoir une espérance de vie similaire à leurs grands-parents sont quasi nulles”.
Selon l’audience, l’argument sera perçu comme :
Déprimant (« nos enfants n’auront pas un dixième de la chance que nous avons eue dans un monde aux limites physiques en apparence inépuisables »)
Réconfortant (« Ouf ! au moins ils échapperont à l’Ephad »)
Peu pertinent (« Ce seront les enfants du Sud qui seront touchés, c’est triste pour eux mais les nôtres vieilliront dans les mêmes conditions que nous »)
Dans les faits :
Un enfant né aujourd'hui vivra dans un monde où il fera 4 degrés de plus que la moyenne de l'ère préindustrielle (contre environ 1,5 degré aujourd’hui).
La courbe du réchauffement est exponentielle, avec des effets de seuil et un enchaînement de catastrophes naturelles potentiellement dévastatrices.1 Les conséquences se manifesteront sur plusieurs plans : santé, alimentation, espérance de vie.
Pour ne citer que quelques chiffres parmi tant d’autres :
Selon certaines études, pour chaque degré Celsius d'augmentation de la température, l'espérance de vie diminue en moyenne d'environ 0,44 ans. Evidemment on parle ici de moyenne, avec des disparités très importantes entre les populations les plus exposées et les autres.
D'ici 2050, plus de 2 milliards d'enfants seront exposés à des vagues de chaleur fréquentes et intenses, indépendamment du scénario d'émissions de gaz à effet de serre envisagé.2 Ce sont les enfants qui souffriront le plus de maladies transmissibles exacerbées par le climat, comme le choléra et le paludisme.
Outre les enjeux sanitaires, la malnutrition – qui affecte déjà 1 enfant sur 4 dans le monde aujourd’hui continuera d’être aggravée par le changement climatique si notre système alimentaire et agricole n’est pas fondamentalement repensé.
Les catastrophes climatiques entraîneront également des déplacements massifs. D'ici 2050, on prévoit que jusqu'à 216 millions de personnes pourraient être forcées de migrer à cause des effets du changement climatique, dont une majorité de femmes et d’enfants (près de 43,1 millions d'enfants sont officiellement reconnus aujourd'hui comme réfugiés climatiques).
Dans ce contexte, on comprend aisément comment une partie de la jeunesse peut succomber à l’angoisse.
Le péril jeune
La majorité des sondages concorde : la génération des 15-25 ans se montre plus préoccupée par les enjeux environnementaux que celle de leurs parents, ces derniers étant plus concentrés sur le court-terme (une des nombreuses déclinaisons du concept de la “tragédie des horizons” théorisée par Mark Carney).
On citera par exemple une large étude quantitative et qualitative menée par l’Ademe entre 2020 et 2022 : 79% des jeunes interrogés déclarent accorder « une grande importance » à l’environnement contre 68% pour leurs parents, et 53% pour leurs grands-parents.
Cette « éco-anxiété » est un sentiment légitime et rationnel résultant de la compréhension du monde et des enjeux sociétaux et écologiques à venir (cf notre newsletter de mars). Mais les émotions négatives qui y sont associées (colère, tristesse, désespoir) semblent être encore plus présentes chez les jeunes. Ainsi, selon l’étude menée à partir de sondages auprès de 10 000 jeunes de 16 à 25 ans (et publiée par la revue scientifique « The Lancet Planetary Health »), 45 % des jeunes sondés dans dix pays (du Nord et du Sud) affirment que l’éco-anxiété affecte leur vie quotidienne, et près des trois-quarts jugent l’avenir effrayant. L’étude note que la littérature existante pointe vers une surreprésentation des émotions négatives chez les plus jeunes, comme c’est le cas pour les femmes et les personnes les plus vulnérables aux aléas climatiques.
Quel est l’impact de ces prises de consciences douloureuses sur la façon dont les jeunes se projettent dans l’avenir ?
Diverses manifestations
Les résignés
Dans l’étude menée par l’Ademe référencée plus haut, les 15-25 ans se disent fatalistes et jugent « que les chances d’inverser la tendance et de limiter le changement climatique sont déjà passées.
Dans ce contexte, on comprend l’émergence récente de collectifs tels que “Conceivable future” aux Etats-Unis, “No Future No Children” au Canada ou “Birthstrike” (littéralement “grève des naissances”) au Royaume-Uni. Ces mouvements revendiquent la décision de ne pas faire (ou faire moins) d’enfants comme un moyen de sensibiliser et d’appeler à l’action (plutôt qu’à la limitation des naissances).
D’après l’étude menée par les chercheurs de l'University College London, publiée en 2023, les personnes les plus préoccupées par le changement climatique sont aussi celles qui affirment désirer moins d'enfants que les autres, ou sont plus nombreuses à ne pas en vouloir du tout.
Les engagés
A contre-courant des résignés, la dernière décennie a aussi vu l’émergence de nouveaux modes de militantisme au sein des jeunes. Attaquer, militer, bifurquer, désobéir, les trajectoires d’engagement sont multiples. On citera entre autres :
La voie judiciaire3, avec pour exemple le plus récent la victoire historique récemment remportée par 16 enfants et adolescents américains dans un procès contre l'État du Montana (le juge a déclaré inconstitutionnelle une loi qui interdisait à l’administration de prendre en compte les conséquences des émissions de gaz à effet de serre sur le climat pour l’octroi de permis à des entreprises d’énergies fossiles.)4
Onze des seize jeunes plaignants dans l'affaire Held contre Montana posent pour une photo le 16 juin 2023. (Blair Miller/Daily Montanan)
La « désobéissance civile ». Autrefois le fait de quelques militants radicalisés en marge des assemblées générales, ces actions se sont largement multipliées et démocratisées, avec des mobilisations larges pour des occupations de site ou des faits plus ciblés, à visée médiatique comme par exemple l’aspersion de peinture sur des œuvres d’art. Souvent jugées comme contre-productives, ces actions n'ont en fait souvent pas pour but de changer l’opinion publique. Comme l’explique cet excellent article, les jeunes activistes cherchent en fait souvent à accroitre le soutien aux actions modérées en élargissant le champ des actions « acceptables » (fenêtre d’Overton).
Les collectifs d’étudiants et de jeunes actifs
Beaucoup se souviennent de ce discours radical prononcé par 8 étudiants de la célèbre école Agro-Paris tech en Mai 2022, appelant leurs camarades à «bifurquer». Les associations étudiantes consacrées à l’écologie prennent de l’ampleur avec notamment HEC Transitions et ESCP Transition Network. Le mouvement du Manifeste écologique rassemblant les revendications des étudiants recueille plus de 30 000 signatures. En France, des réseaux de salariés s’organisent, à la fois intra-entreprise mais aussi en externe. (Voir notre numéro de Janvier 2024, consacré à ces questions).
Les pragmatiques
Alors que beaucoup attribuent aux jeunes générations la responsabilité du changement et se félicitent de les voir “bifurquer” et s’engager, la réalité est que les jeunes diplômés privilégient toujours la sécurité (le salaire, avantages, perspectives de revenus élevés) à l’impact écologique.
De nombreux sondages démontrent cette tendance. Outre l’étude Ademe référencée plus haut qui note que « malgré l’engagement qu’ils proclament, la description de leur mode de vie par les jeunes interrogés ne signale pas de grands changements pour peser sur l’environnement », on citera aussi ce sondage5 mené auprès de 30000 étudiants de grandes écoles de commerce et d’ingénieurs en 2023 qui montre que 55 % des étudiants interrogés (-4% vs 2022) étaient prêts à travailler dans une entreprise non conforme à leurs valeurs, si le salaire était plus élevé - contre 39 % (+12) qui à l'inverse seraient prêts à refuser ce type d’emploi.
« Qu'en déduire ?, » écrivait récemment Jean-Marc Jancovici « Qu'il faut se garder de voir midi à sa porte, et que quelques hirondelles (les discours engagés au sein de quelques grandes écoles, ou quelques figures militantes emblématiques) ne font malheureusement pas nécessairement le printemps de l'ensemble d'une classe d'âge »
Une des spécificités mise en exergue par ce même sondage permet de mieux comprendre ce repli individualiste et comment arriver à le transformer en une mise en action positive: pour 83% des jeunes sondés, “on a échoué à prendre soin de la planète”. Plus spécifiquement, le niveau de détresse est plus important chez ceux qui font le constat de l'inadéquation de la réponse des gouvernements, habités par un sentiment de trahison.
Alors comment aider les jeunes à dépasser leur colère et à reconnaître leur capacité à agir sans pour autant leur imposer le fardeau du changement ?
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Du savoir aux actes 🙋♂️: comment sensibiliser et accompagner les enfants ?
Chacun(e) de nous peut pratiquer un examen de conscience au travers de deux questions
Que penserait l’enfant que j’étais de l’adulte que je suis aujourd’hui?
Que penseront mes enfants/neveux/ nièces de mes actions quand ils auront mon âge?
Ensuite nous pouvons décliner les ressources pédagogiques en fonction des âges:
👶Pour les plus jeunes (avant 10 ans): expliquer sans submerger, et rassurer
Selon Laelia Benoit, médecin pédopsychiatre et chercheuse à l’université de Yale sur le sujet de l’éco-anxiété chez les jeunes, il ne faut pas essayer d'expliquer les faits et les projections aux jeunes enfants avant 10-12 ans, car ”leur esprit ne perçoit pas tous les enjeux de grande échelle.”
Il s’agit plutôt de les rassurer en leur proposant des actions concrètes, car des éco-gestes qui peuvent nous paraître insignifiants représentent beaucoup à l’échelle de l’enfant: on peut faire du compost, planter un arbre, trier les déchets ou mieux aller les ramasser. Cela leur permettra de sortir de l'anxiété en se sentant utiles.
Idées: https://faire-decouvrir-l-ecologie-aux-enfants.fr/abonnements-defi-ecolo/
👧 Avec les ados : informer, communiquer et associer
L’étude Ademe démontre que les jeunes sont friands d’information sur les sujets environnementaux, avec une préférence pour les contenus produits par des influenceurs apportant « un éclairage positif sur la crise (…) et des perspectives sur la façon de lutter contre le changement climatique. » (Une partie des jeunes interrogés dénonce l’angle de traitement des médias traditionnels, qu’ils jugent comme trop anxiogène).
La colère ou le désespoir des adolescents face à au manque d’action général seront significativement atténués par la communication, mais surtout par le fait de voir que les parents partagent les préoccupations de l’enfant et surtout agissent et s’engagent en conséquence. Ainsi l’étude Ademe souligne que les jeunes privilégient le « dialogue intergénérationnel ».
Afin d’éviter les jugements et déceptions face à des actions qui peuvent être perçues comme insuffisantes, les membres de la famille peuvent aider les jeunes en leur proposant des contenus informatifs mais aussi en les associant à la discussion sur les actions à entreprendre dans la famille, que ce soit sur le choix des destinations de vacances, l’alimentation ou les déplacements quotidiens.
Pour les sensibiliser, pensez aux ateliers Fresque du Climat (format junior entre 10 et 14 ans) ou Ateliers 2tonnes (dès 16 ans).
Pour aller plus loin:
Comment parler d'écologie aux enfants ? 👶🏼 Anne Thoumieux - The Big Shift ! écologie
💚COUP DE CŒUR : Trump in the House - fin de l’ESG?
A la suite des développements géopolitiques majeurs cette semaine, nous vous recommandons d'écouter le dernier numéro du podcast Zero de Bloomberg.
Plusieurs experts du climat partagent leur analyse sur la manière dont la future administration Trump est susceptible de façonner notre avenir énergétique. Ils laissent entendre que les perspectives ne sont pas nécessairement aussi radicales que ce que certains commentateurs prédisent. Le fameux slogan « Drill Baby Drill » ne sera pas le seul enjeu.
Bonne écoute!
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Les ONG et les scientifiques ne sont pas les seules à alerter sans relâche sur ce risque. Il y a 10 ans déjà les économistes de la Banque Mondiale le signalaient.
L’Année la plus froide du reste de leur vie | UNICEF
Le nombre d’affaires judiciaires liées au climat a doublé entre 2017 et 2022. Comme nous l’avons évoqué dans une précédente newsletter (Novembre 2023 : Good COP ou Bad COP?), Parmi le déluge des procès climatiques, de nombreux restent sans suite. Néanmoins, ces procès ont aussi de nombreux impacts significatifs dont une évolution du droit, une portée médiatique et des retombées financières.
«Pour la première fois dans l’histoire des Etats-Unis, un tribunal a jugé qu’un gouvernement a violé les droits constitutionnels d’enfants à travers des lois et des actions promouvant les énergies fossiles et ignorant le changement climatique », a réagi dans un communiqué Julia Olson, directrice exécutive de Our Children’s Trust, l’une des associations de juristes qui soutenait les plaignants.
https://start.lesechos.fr/travailler-mieux/classements/les-jeunes-se-soucient-ils-vraiment-des-engagements-rse-des-entreprises-2071697