Octobre 2023 : La transition agro-écologique - retour vers le futur?
12 millions. C’est le nombre approximatif de citrouilles qui seront jetées demain dès que nous aurons rangé nos beaux costumes d’Halloween 🎃. En France, 9 000 hectares sont consacrés à la culture de la courge.
Alors que la raréfaction des terres agricoles devient pressante et après que s’achèvent les récoltes/ moissons dans nos belles régions respectives du Gers et de Savoie, nous avons choisi de consacrer le « Grand Angle » du mois aux multiples défis de ce secteur stratégique.
Bonne lecture et merci à tous nos nouveaux abonnés! N’hésitez pas à nous faire part de vos commentaires, remarques et suggestions.
Au sommaire de cette édition :
Rubrique Grand Angle : Transition agricole : repenser le paradigme
Rubrique Du Savoir Aux Actes : Alimentation : 5 conseils pour réconcilier nos assiettes avec la planète
Rubrique Coup de Coeur : Humus, roman de Gaspard Koenig
GRAND ANGLE 💡: transition agricole : repenser le paradigme ?
Impact environnemental : un secteur à la fois émetteur et capteur
Parce qu’elle convoque des sujets essentiels qui nous impactent directement (sécurité alimentaire, santé, biodiversité, économie, social, climat, énergie), la question agricole suscite souvent des débats passionnés. Industrie prometteuse selon les uns, destructrice pour d’autres, il semble souvent difficile de réconcilier les perspectives.
Guillaume Fournidier (le créateur de la newsletter le Plongeoir dont nous recommandons vivement la lecture) qualifie de « double effet kiss cool » la coexistence des externalités positives et négatives liées à l’agriculture.
Kiss Cool #1 💫 : les terres agricoles représentent près de 40 % de la superficie terrestre et génèrent environ 11 % des émissions mondiales de gaz à effet de serre (GES) dans le monde (1/4 des GES en France).
🔥 Du méthane (majoritairement lié à l’élevage bovin)
🔥 De l’azote (lié aux bactéries du sol à la suite de l’application d’engrais)
Kiss Cool # 2 💫 : les sols sont l’un des plus puissants leviers de séquestration du carbone. A la fois les surfaces non cultivées (jachères, haies, bandes enherbées, mares etc.1) mais aussi celles exploitées via des modes de production optimisés pour restaurer la capacité des terres à capter du CO22.
Impact social : cultiver moins pour nourrir plus (et moins cher !)
Pour répondre à sa vocation nourricière, l’agriculture fait face à un défi de de taille : d’ici 2050, la population mondiale va passer de 8 milliards à 10 milliards. Autant de bouches à nourrir. 🍽️👪
Cet impératif se heurte à 5 évolutions majeures :
🍽️ Changement des habitudes alimentaires. En seulement 50 ans, notre consommation a considérablement évolué au profit d’aliments carnés qui nécessitent une agriculture plus intensive. Si la consommation de viande diminue légèrement en France et en Europe depuis les années 1980, elle continue d’exploser dans le monde.
💰Baisse des budgets. Grâce à l’augmentation des rendements agricoles, la .part du revenu des ménages consacrée à l’alimentation a chuté. En France, le budget alimentaire a été divisé par 2 depuis les années 1960.
🌱 Diminution des surfaces cultivables : Selon les estimations, chaque seconde, 26m² de terres agricoles disparaissent en France.
L’Organisation des Nations Unies pour l’Alimentation et l’Agriculture avait alerté sur ce point dès 2016 : 1/3 des terres arables dans le monde risque de disparaître1 à cause de l’urbanisation et de la dégradation des sols.👨🌾 Baisse de la population agricole au profit de grands propriétaires :
La croissance du secteur tertiaire et la diminution de la main-d’œuvre agricole favorisent le regroupement des terres et l’augmentation la taille des exploitations. Selon les estimations, 1% des plus grosses exploitations dans le monde représente plus de 70 % des terres agricoles, avec un impact significatif sur les problématiques d’accès au foncier et le déclin de la biodiversité.🌍 Changement climatique : Sécheresses et inondations se succèdent avec un impact significatif sur les rendements.
🤔Dans ce contexte, comment répondre à toutes ces injonctions parfois contradictoires ?
Option 1 : la fuite en avant 🏃♂️💨
Coup de théâtre à Bruxelles. Le mois dernier, la Commission européenne a proposé de renouveler l’autorisation du glyphosate pour les 10 prochaines années. Cette décision controversée a été repoussée. Un nouveau vote aura lieu le mois prochain.
Dans l’ensemble, malgré les objectifs de réduction ambitieux annoncés par la France et l’Union Européenne2, l’utilisation de produits phytosanitaires en France et en Europe ne diminue pas.
Autre événement récent dans la série des rétropédalages : cet été, le Conseil d’Etat a annulé une décision datant de 2019 qui interdisait la vente hors saison de tomates et autres légumes bios cultivés sous serre. Or une tomate française cultivée en serre produit 7 fois plus de gaz à effet de serre qu'une tomate de saison et 4 fois plus qu'une tomate importée d'Espagne3.
Option 2 : Miser sur le Bio 🌱🛒
Beaucoup avaient placé de grands espoirs dans l’essor de l’agriculture biologique. Entre 2016 et 2021 la surface des terres bio a effectivement doublé en France, faisant de l’Hexagone un leader Européen4.
Toutefois depuis 2021 – la consommation a chuté, provoquant une fermeture en cascade des enseignes bio. Les chiffres sont vertigineux : déclin de 1,8% en 2021 et 8,6% en 2022.
Source : Chiffres Agence Bio
Ce déclin n’est pas seulement dû à l’inflation. Certes les prix sont plus chers (un produit bio coûte en moyenne 30% de plus que son équivalent conventionnel) mais la baisse était amorcée avant la guerre en Ukraine5. Parmi les autres facteurs incriminés :
🌍🌿Boom de l’offre. Flairant la tendance à la hausse, les acteurs de la grande distribution s’étaient empressés de racheter des enseignes spécialisées6 et de multiplier les produits en magasins : au final l’offre était devenue supérieure à la demande7.
🌍🌿Bio = pas toujours écolo. Pierrick de Ronne, l’ancien président de Biocoop résume : « L’industrialisation du secteur a entamé la confiance dans le label bio, avec des ingrédients qui ont parcouru des milliers de km et des produits sous plastiques, ou affichant un nutriscore E.”
🌟🔍Mirages des labels et du local. Deux autres tendances ont contribué à détourner l’attention des consommateurs.
✅ La multiplication des labels alimentaires a créé des confusions. Par exemple le Label « Haute Valeur Environnementale » (HVE)8, activement promu par certaines enseignes de distribution, qui le présentent comme une alternative à la fois saine et plus économique au bio. Dans les faits, en cherchant à « embarquer » le plus grand nombre, le label a perdu de sa substance et tolère de nombreuses pratiques peu durables, dont l’utilisation de pesticides cancérigènes. (Au passage ces problématiques nous rappellent celles concernant les labels durables dans d’autres secteurs).
✅ Le local - si l’aide aux producteurs de proximité est une bonne nouvelle pour la résilience des territoires et l’impact environnemental du transport, acheter local ne préjuge en rien de l’impact sur la santé des consommateurs et sur la biodiversité.
Face au déclin du bio, certains agriculteurs envisagent des « déconversions », même si ce phénomène reste encore minoritaire.
Option 3 : Changer de paradigme 🔄 🌳
👨🌾 Encourager l’émergence d’une nouvelle génération d’agriculteurs
De belles initiatives existent pour démocratiser l’investissement dans la terre. Par exemple, Fermes en Vie (FEVE) ou Hectarea. La revalorisation de la filière exigera aussi de gros efforts de financement, de formation, et de simplification des démarches administratives parfois ubuesques.
🍽️ Adapter notre alimentation
Restaurer l’image/ l’usage du bio est une étape mais pas une fin.Dans le Plan de transformation de l’économie française, les chercheurs du think tank du Shift Project présidé par J.M. Jancovici, préconisent de réduire les volumes d’alimentation animale pour privilégier la qualité et la durabilité.
-Diminution d’1/3 de la production de lait et d'œufs,-Division par 2 des produits de la pêche,
-Réduction par 3 de la production de viande.
🌍 Changer la géographie des cultures
Comme l’explique l'agro-climatologue Serge Zaka : « Avec le changement climatique (…) les régions du monde les plus septentrionales vont découvrir de nouvelles cultures, voire des hausses de rendements. À l’inverse, au sud, certaines cultures vont perdre en potentiel. Il faut se poser la question : qui va prendre la relève ? L’Espagne ne pourra plus être le verger de l’Europe9, tel qu’il est actuellement. » Les États ont un rôle essentiel à jouer pour réorganiser les filières.
🌾 Diversifier les pratiques agricoles
En promouvant des pratiques comme l'agroforesterie, la rotation fréquente des cultures et la diversification des variétés, l’agroécologie cherche à établir un équilibre entre la production agricole, la préservation de l'environnement et la résilience des économies locales.
Une utopie hors-sol, objectent certains. Pas si sûr…. Depuis 2013, la Fondation de France a soutenu 324 projets prometteurs en lien avec la transition agroécologique. Même de gros industriels tels que Mac Donald’s (vous avez bien lu !) s’y intéressent de près, avec plusieurs projets en France.
Certes, des défis subsistent, notamment la possible diminution des rendements, mais l'agroécologie permet une approche systémique intéressante pour tenter de fédérer les parties prenantes et réconcilier les impératifs de nutrition et santé ainsi que de l'environnement et de l'économie.🌎🌾
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DU SAVOIR AUX ACTES 🙋♂️- Alimentation : 5 conseils pour réconcilier nos assiettes avec la planète
…sans perdre de vue notre santé!
🍌Local, bio ou de saison, quel est le plus important?
Au regard des émissions de CO₂, le facteur le plus important est la saisonnalité - les fruits et légumes cultivés hors saison demandent du chauffage, avec un impact climatique négatif. De plus les cultures sous serre ont souvent moins de goût et de nutriments (vitamines etc.)
Source: 2tonsclub
Le deuxième facteur contributif de CO2 (loin derrière le 1er) est la “localité” - privilégier les circuits courts pour réduire l’impact du transport, mais aussi pour la qualité nutritionnelle (plus c’est frais, plus il y a de vitamines).
Troisième critère: choisir les produits issus de l’agriculture biologique. L’impact positif de ces produits sur la dimension climatique est peut varier fortement en fonction des modes de culture. Cependant il est positif pour la santé des sols, des agriculteurs, et des consommateurs.
En résumé, le premier effort à faire pour le climat est de consommer au maximum de saison, puis d’éviter ce qui a été transporté par avion (une grande majorité de légumes surgelés10 mais aussi des fruits et légumes frais/ secs11). Pour la santé et l’équilibre plus global, choisir le bio!
🥬Justement, le bio en vaut-il vraiment la chandelle?
Les aliments bio sont en moyenne 20 à 30% plus chers que les conventionnels, et les émissions gagnées par l’absence d’engrais chimique sont souvent rattrapées par ailleurs, du fait des rendements inférieurs. Cependant, il y a de nombreux avantages pour l’environnement, l’emploi, la biodiversité et surtout pour la santé.
Les logos européen (eurofeuille) et AB (Ministère de l’agriculture français), apportent globalement les mêmes garanties et renvoient tous deux à un seul et même cahier des charges communautaire. Parmi les points clés: les produits chimiques de synthèse et les OGM sont interdits ; la rotation des cultures est obligatoire ; la densité des élevages est limitée ; et pour les produits transformés seuls les additifs naturels et 54 autres sont autorisés (contre plus de 300 dans le conventionnel). En revanche, l'agriculture bio non européenne a été l’objet de nombreuses controverses (cahiers des charges moins stricts, manque de contrôle et fraude).
Les résidus de pesticides dans les fruits, légumes et céréales, les additifs de synthèse, et les hormones et antibiotiques présents dans le lait et les viandes bio sont à la fois des perturbateurs pour nos glandes endocrines et pour notre flore intestinale, garante de notre immunité et de notre santé cardio-vasculaire.
🐮Les écolos diabolisent la viande…mais si elle vient du fermier du coin, ça passe, non?
Dans notre numéro d’août, nous avons souligné qu’1kg de bœuf = 15000 litres d’eau - un des aliments les plus impactants de nos régimes alimentaires. Même si vous voyez paître son bétail, il faut rappeler qu’en France environ 10% de leur alimentation comporte des tourteaux de soja, souvent importé d’Amérique Latine et résultat de la déforestation.
Et pour rappel, 1kg de bœuf cru français = 34 kg de CO₂ ~ 250 km en voiture thermique.
Indépendamment du mode d’élevage, la rumination (et les rots du bétail) représentent environ 16kg de CO₂. On y ajoute les émissions liées à l’utilisation des terres pour faire pâturer ou pousser le fourrage, la transformation et le transport (faible impact) et enfin le gâchis.
Alors certes les prairies capturent du CO₂, mais plus de trois fois moins que les forêts qu’on a parfois coupées pour les créer. On perd donc une importante opportunité de stockage, sans compter l’impact sur la biodiversité.
Les surfaces dédiées à l’élevage et son alimentation représentent 77% des terres agricoles et ne fournissent que 18% des calories consommées. Ainsi, des régimes moins carnés permettraient de relever le défi de la baisse des rendements d’une transition vers l’agroécologie.
🧑⚕️C’est vraiment sain de se passer de viande?
Nos régimes actuels, trop carnés, sont carencés en acides aminés essentiels et en fibres, donc réduire la viande pour les végétaux est bénéfique à tous, notamment pour réduire les risques cardio-vasculaires et les cancers.
D’après les conclusions de l’Agence Nationale de Sécurité Alimentaire, “les régimes végétariens permettent d’assurer un apport protéique en quantité et qualité satisfaisante pour l’enfant et l’adulte”. Sur les 20 acides aminés essentiels au fonctionnement de l’organisme, seulement 8 doivent être apportés par l’alimentation (9 chez l’enfant). La solution est donc de rajouter des oeufs ou du fromage:
Source: Yuka, 2tonsclub
Selon des sources complémentaires, les noix (notamment du Brésil) contiendraient aussi de la thréonine et méthionine = le régime vegan (qui ne contient aucun produit animal, donc pas d’oeufs) pourrait donc aussi fournir tous les acides aminés essentiels. On conseille cependant une supplémentation en vitamine B12, difficile à trouver en quantité suffisante dans les végétaux.
💪Oui mais j’ai besoin de mes protéines pour faire du muscle!
Il y a de bonnes protéines, souvent plus maigres, ailleurs que dans la viande: c’est notamment le cas des œufs et des poissons, mais aussi des légumineuses qui ont un impact environnemental encore moindre.
Pour les vegans, la recommandation pour assurer l’apport de protéine est d’associer différents végétaux: les légumineuses (lentilles, fèves, pois) avec les céréales (riz, blé, etc). Effectivement, cela fait plus de glucides et pour muscler sa silhouette on devra sans doute introduire plus de cardio (course, vélo etc.), ou des shakers de protéines vegan pour les sportifs de compétition.
Pour ceux qui doutent, voici Jonna Edwinson, une body-buildeuse professionnelle vegan :
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💚COUP DE CŒUR : Humus, roman de Gaspard Koenig
(Par Carole)
J’ai dévoré ce roman qui évoque les bifurqueurs, le retour pas si facile à terre, les start-ups agritech qui vendent du rêve, tout en se moquant gentiment de tout ce joyeux petit monde sur la brèche, et en parlant d’amour et d’amitié.
J’ai eu la chance de rencontrer l’auteur début octobre au festival Livres en Marches, et vous invite au passage à regarder les riches débats auxquels il a pris part sur l’engagement de la jeunesse avec Camille Etienne, ainsi que ceux avec Aurélien Barrau, Pablo Servigne …un beau programme!
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Références de cette édition :
Chiffres ONU. En 1961, il y avait 0,45 hectare de terre pour alimenter une personne. En 2011, cette superficie s’était réduite pour atteindre à peine 0,20 hectare. La dégradation des terres pourrait conduire à une chute des rendements de 10 à 50% selon les régions, d’ici 2050.
En France, le plan Écophyto II avait pour objectif de réduire les usages de produits phytopharmaceutiques de 50% d'ici 2025 et de sortir du glyphosate d'ici fin 2020 pour les principaux usages et au plus tard d'ici 2022 pour l'ensemble des usages. Le Pacte vert européen quant à lui, prévoit une diminution de 50% des pesticides d’ici à 2030,Notamment sous la pression de la FNSEA qui argumentait que cette interdiction désavantagerait la France par rapport à ses voisins Européens.
Source : Agence française de la transition écologique (Ademe)
La France est devenue le plus gros marché bio d’Europe en termes de chiffres d’affaires et le plus gros producteur avec 2,5 millions d’hectares soit près de 10% de la surface cultivée. Source : chiffres Agence Bio, 2021.
Nous recommandons la lecture de ce dossier de l’Express paru en 2021.
Monoprix a racheté Naturalia en 2008, Carrefour a acheté Bio c’est Bon en 2021..
Citée dans l’Express en 2021, Emily Mayer, Directrice des études au sein de l'Institut IRI, expliquait « les produits bios représentaient 8% des références en grande distribution mais pesaient seulement pour 5% du chiffre d’affaire ».
Le Label HVE a été créé en 2008 à la suite du Grenelle de l'Environnement en France. L’objectif initial était d’encourager une transition progressive des pratiques conventionnelles vers une agriculture plus respectueuse de l'environnement.
Pour aller plus loin sur cet exemple en Espagne, nous vous recommandons la lecture de cet article qui illustre les imbrications potentielles entre le changement climatique et la montée des partis extrémistes: https://www.slate.fr/story/228109/espagne-secheresse-argument-extreme-droite-vox-elections-regionales
Source : les Echos. Deux tiers des légumes surgelés et en conserves consommés en France sont importés. Le taux d'autosuffisance de la filière légumineuse, qui occupe un tiers de la surface utile agricole (70.000 hectares), ne dépasse pas 40 %. https://www.lesechos.fr/industrie-services/conso-distribution/legumes-la-dependance-de-la-france-aux-importations-de-surgeles-et-conserves-saggrave-1905531
Source : rapport Solagro, sous l’égide du Ministère de la Transition écologique. page 40.
https://www.deforestationimportee.ecologie.gouv.fr/IMG/pdf/f117_brochure-importations-solagro-web.pdf